Aujourd’hui, c’est Charles Xelot, photographe français, qui se prête au jeu de l’interview du froid pour Objectif Grand Froid.

Après des études en école d’ingénieurs, Charles Xelot réalise son rêve en devenant photographe. Aujourd’hui, son rêve va encore plus loin puisque Charles Xelot a remporté le prix du jury des Zooms 2019 du salon de la Photo ainsi que la Bourse du Talent pour sa très belle série photographique capturée dans la Péninsule de Yamal, dans l’Arctique Russe. C’est ici que se trouve l’un des plus grands gisements de gaz au monde. C’est également dans la toundra de cette péninsule que vivent les fameux Nénètses, ce peuple autochtone vivant principalement de l’élevage de rennes.

Résidant en Russie, Objectif Grand Froid a joint par téléphone Charles Xelot pour en savoir un peu plus sur ces photographies primées qui seront à admirer lors du salon de la photo à Paris du 7 au 11 novembre 2019. Les clichés seront ensuite présentés à la BNF, toujours à Paris, dès le mois de décembre 2019 et, ce, pour une durée de trois mois.

 

Pourquoi avoir choisi la Péninsule de Yamal pour votre série de photographies ?

Cela faisait des années que je souhaitais me rendre en Arctique. C’est un endroit où il se passe beaucoup de choses actuellement. Je pense notamment à toutes ces usines et à ces sites industriels situés dans des coins souvent très reculés et difficiles d’accès. Je trouvais intéressant de montrer le développement de notre civilisation et de notre société occidentale et ce besoin d’aller de plus en plus loin pour rechercher nos ressources énergétiques avec ces forages dans l’Arctique. Et c’est dans la Péninsule de Yamal, en Arctique Russe, où l’on trouve l’un des plus grands gisements de gaz au monde.

Pouvez-nous nous décrire à quoi ressemble la Péninsule de Yamal et qu’avez-vous ressenti sur place ?

Dans ce sujet photographique, je suis allé dans deux endroits complètement différents. J’ai notamment découvert Sabetta et cet énorme site industriel situé en plein cœur de la toundra, sous la neige, au milieu du vide. C’est une ambiance assez indescriptible. L’intérieur du site ressemble à une usine industrielle comme on peut en voir ailleurs mais une fois à l’extérieur, on découvre cette immense étendue plate, vide et blanche, avec cette étrange sensation d’espace et de voler presque. Je trouve que la toundra est un endroit absolument extraordinaire.

J’imaginais le projet comme une grande scène de théâtre blanche et plate où il n’y a rien à part l’Homme

Quelles ont été les conditions pour réaliser cette série de photos dans la Péninsule de Yamal ?

J’y suis allé trois hivers de suite, aux mois de février, mars et avril car c’est la période où la neige tient encore bien au sol. Je voulais que tout soit blanc. J’imaginais le projet comme une grande scène de théâtre blanche et plate où il n’y a rien à part l’Homme. D’un point de vue photographique, cette immensité blanche apporte un aspect très graphique aux images avec cette ligne d’horizon au milieu qui scinde la photo en deux. Côté températures, ça oscillait entre -10° et -40°. Et sur place, j’ai un peu tout fait : dormi avec les Nénètses dans les tchoums au milieu de la toundra, parcouru 1500km de motoneige sur l’ensemble du voyage, j’ai fait de l’hélico, j’ai aussi embarqué sur des bateaux, dormi sur un site industriel… On peut dire que ça été très varié en termes de modes de transports et d’hébergements !

Charles Xelot-Gregory and the Factory-Courtesy Sitdown Gallery
© Charles Xelot / Gregory and the Factory / Courtesy Sitdown Gallery

J’imagine que ça n’a pas été évident tous les jours. Quel a été le moment le plus difficile ?

Je me souviens de cette fois-ci où nous sommes partis avec un groupe de russes qui se rendaient dans la péninsule de Gyda. A ce moment-là, j’étais en repérage pour mieux comprendre la région. Ce groupe de russes avec 5 ou 6 motoneiges a proposé de nous embarquer dans leurs luges accrochées à l’arrière. On s’est retrouvé à faire parfois 10h d’affilée de luge derrière eux tous les jours. Au final, ça a duré deux semaines et je dois avouer que la fin a été très difficile. J’ai traversé beaucoup de villages et rencontré des Nénètses mais je ne suis pas sûr de le refaire.

La population de Nénètses est en augmentation et il n’y a jamais eu autant de rennes dans la Péninsule de Yamal. A court terme, ce n’est pas une population en danger.

Justement, comment vivent les Nénètses, premières victimes de ces immenses gisements de gaz ?

Je n’utiliserais pas le mot « victimes » car les Nénètses ne sont pas des victimes. Ceux qui vivent à côté des gisements ne sont pas contents, forcément, car les usines détruisent leurs pâturages. Dans l’ensemble, je pense que ceux qui vivent loin de ces sites industriels, ne se sentent pas vraiment concernés. D’ailleurs, la population de Nénètses est en augmentation et il n’y a jamais eu autant de rennes dans la Péninsule de Yamal. A court terme, ce n’est pas une population en danger.

On pourrait pourtant penser le contraire…

Oui c’est vrai. Ce que je vais dire est peut-être un peu provocateur mais, dans un sens, je pense qu’en l’absence de ces usines industrielles, les Nénètses ne pourraient pas continuer leur mode de vie comme ils le font actuellement. Je pense notamment aux aides dont ils bénéficient. Par exemple, l’école est payée pour les enfants, il y a des campagnes de vaccination pour les rennes, la viande est achetée à un prix défini… Il y a aussi dans certains coins de la toundra des petits hôpitaux avec des médecins toujours présents et qui font le tour des tchoums pour s’assurer que tout aille bien… Si on regarde dans le reste de l’Arctique, il n’existe quasiment plus d’éleveurs de rennes nomades. La plupart sont aujourd’hui sédentarisés. Et l’un des seuls pays où il reste encore des ethnies qui vivent de manière traditionnelle, c’est en Russie. Un souhait voulu par la politique soviétique qui, depuis le début, cherchait à maintenir les modes de vie traditionnels des nomades tout en les incorporant dans un système. Pour y arriver, les soviétiques avaient choisi de rémunérer les Nénètses afin qu’ils s’occupent des rennes appartenant à l’Etat. Ils étaient donc payés pour continuer leur mode de vie nomade qui est aujourd’hui loin d’être moderne d’ailleurs. A part la motoneige et le téléphone portable (la plupart sans réseau), ils ont un mode de vie très simple et rude. Malgré cela, la plupart des jeunes Nénètses reviennent dans la toundra après leurs études. Beaucoup veulent devenir vétérinaire pour ensuite s’occuper des rennes. D’autres choisissent de ne pas revenir en revanche, comme les femmes. La vie est beaucoup plus dure pour une femme Nenet qui doit s’occuper du tchoum, de la couture et des enfants, que pour un homme dont sa seule préoccupation reste les rennes.

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© Charles Xelot / Flare / Courtesy Sitdown Gallery

Parmi les 10 photos sélectionnées dans le Prix du jury des Zooms et exposées au salon de la photo, y-a-t-il des photos dont vous êtes plus fier que d’autres ?

J’aime beaucoup la photo avec la croix qui est un objet extrêmement symbolique. J’ai l’impression que dans notre société moderne il y a, comme dirait le philosophe français Jacques Ellul, une sacralisation de la technique. Je trouve que cette croix ressemble à une installation d’art contemporain alors qu’elle est posée juste au-dessus d’un puit de gaz. Il y a aussi cette photo avec cette flamme et ce gaz qui brûlent dans la toundra, sortant de nulle part… c’est un peu l’Homme qui a réussi à faire du feu à partir de la glace. On est véritablement dans le mythe prométhéen. Je trouve ça totalement dystopique comme image. En réalité, au-delà de l’aspect esthétique et graphique de l’image, j’essaye d’apporter une dimension un peu au-delà et de faire réfléchir chacun.

Nous sommes arrivés au bout de notre planète

Justement, quel est le message que vous aimeriez faire passer à travers ces photos prises au Yamal ?

Je dirais que nous sommes arrivés au bout de notre planète. D’ailleurs « Yamal », signifie « au bord du monde » en langue Nenet. A vrai dire, pour maintenir notre confort de vie basique auquel nous sommes tous habitués, on se rend compte que nous sommes obligés d’aller au bout du monde et même au bord du monde pour construire ces usines absolument gigantesques avec autour des humains qui vivent presque comme au néolithique. C’est quelque chose qui peut nous faire réfléchir sur notre civilisation. En même temps, ça me fait penser à cet homme Nenet qui me répétait « le Yamal coule, le Yamal coule ». Je n’ai pas compris au début mais sa femme m’a expliqué qu’une fois le sol dénué de ses ressources énergétiques, le sol descendra et l’eau recouvrira la péninsule du Yamal. Est-ce prophétique ? Est-ce que d’ici 100 ans le Yamal sera sous les eaux ?

Quels sont vos projets photographiques ?

J’adore le froid, j’adore la neige et j’adorerai retourner en arctique. J’ai des idées mais j’en suis encore en période recherches et de préparation.

En attendant de découvrir les photos de Charles Xelot à Paris, découvrez son très beau making of du projet :

 

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