Aujourd’hui, c’est Danilas Lensky, auteur yakoute, qui se prête au jeu de l’interview du froid pour Objectif Grand Froid.

Né en 1979 en République Sakha dans le nord-est de la Russie, Danilas Lensky travaille comme présentateur à la radio STV de Yakutsk depuis ses quinze ans.

C’est au mois de décembre 2020 que Danilas Lensky publie ‘Radio-Nord‘ (Editions Borealia), son premier roman traduit en français. Inspiré du vécu de l’auteur, ‘Radio-Nord‘ est un véritable panorama de la Russie contemporaine. Une histoire de gens vivant aux confins de la Sibérie, racontée avec beaucoup d’humour et parsemée de moments très émouvants.

Nous avons eu l’occasion de poser quelques questions à l’auteur. La traduction est signée Emilie Maj, des éditions Borealia.

Un petit mot sur votre enfance en Yakoutie ? La rudesse du climat et l’éloignement des grandes métropoles.

Le climat… Eh bien, justement, en ce moment chez nous la température est passée largement au-dessous des -50°C ! La dernière fois qu’il a fait froid comme ça, je me souviens que c’était quand j’allais à la maternelle. D’abord, on m’emmitouflait de la tête aux pieds, puis on me mettait sur une luge et on me tirait. J’étais couvert de givre et j’avais l’impression que mes yeux allaient geler complètement. D’ailleurs, mes cils gèlent encore maintenant, vous savez, ça doit être une particularité que j’ai.
À l’école primaire, j’ai commencé à faire le chemin seul jusqu’à l’école. Le brouillard était aussi épais qu’aujourd’hui. Imaginez un garçon qui va seul à l’école par -50°C, sans même un bonnet ! En CP, un jour, on m’avait volé ma chapka et j’ai dû marcher tête nue. Je me demande comment j’ai fait pour ne pas prendre froid… Quand j’étais petit, je portais une chapka en fourrure de lapin. Mon manteau, c’était une veste matelassée. Et aux pieds je portais des valenki – vous avez sans doute entendu parler de ces longues bottes russes en feutre noir. Impossible de distinguer un enfant de l’année 1987 d’un autre. Très probablement, on n’avait pas volé ma chapka mais on me l’avait prise par erreur. La même chose était arrivée à ma veste. Un jour, quelqu’un l’avait prise. Mais cette fois-là, non, je ne suis pas rentré à la maison en uniforme scolaire par -50°C. Moi aussi, j’ai été obligé de prendre celle de quelqu’un d’autre. C’était comme ça à l’époque…

J’ai commencé à écrire mes propres histoires vers huit ans. On m’appelait « le conteur ».

Comment êtes-vous venu à l’écriture et pourquoi avoir choisi un personnage qui comme vous est animateur radio ? À quel point la radio est-elle importante dans votre vie personnelle ?

J’ai commencé à écrire justement à cet âge, quand j’étais en CP. J’étais sans doute un garçon impressionnable : j’avais tout le temps envie de copier ce qui me plaisait. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’était les contes. J’en écoutais sur des vinyles. J’en avais des tonnes. On allait en acheter presque chaque semaine avec mon père. J’avais une collection entière d’histoires sur vinyles que j’ai donnée à ma nièce. J’ai commencé à écrire mes propres histoires vers huit ans. On m’appelait « le conteur ». En plus, je m’enregistrais avec un magnétophone. Je racontais ce qui me passait par la tête, en imaginant que j’étais présentateur radio. C’est comme ça que finalement je suis arrivé à faire de la radio pour de bon.
Ce que je veux dire, c’est que notre vie est déterminée dans l’enfance. J’ai commencé la radio en direct quand j’avais 15 ans. C’est pour mon culot qu’on m’a engagé. Il n’est pas donné à n’importe quel écolier de débarquer et de dire : « Me voilà, j’arrive ! Et maintenant, je vais vous donner le hit-parade, parce que vous ne le connaissez pas encore ! Alors, c’est parti ! ». J’imagine que vous ne vous demandez plus pourquoi le héros de mon roman est présentateur radio ?

© Danilas Lensky

Vous êtes ici loin des classiques Yakoutes et de cette culture où la nature a une place prépondérante. Pourquoi avoir mis l’accent sur la culture urbaine qui nourrit votre personnage Toporkov ?

Je dois reconnaître que je connais finalement peu de choses sur la Yakoutie. Je vis ici, c’est tout. Les touristes la connaissent mieux que moi, parce qu’ils s’y intéressent, qu’ils visitent les parcs nationaux, profitent de croisières sur la Léna, notre fleuve magnifique, parce qu’ils font l’effort de se déplacer. Tout cela, je l’ai vu dans mon enfance et, honnêtement, cela m’intéresse peu aujourd’hui. J’ai plutôt envie de découvrir de nouveaux lieux, de faire la connaissance de nouvelles personnes.
J’aime la Yakoutie, mais je ne sais pas quoi écrire dessus. Ici, dans les librairies, mon livre ne sera posé à côté des livres d’auteurs yakoutes qui écrivent sur la nature de leur pays natal et sur la vie dans le Nord. La vie citadine m’attire davantage et je pense qu’il n’est pas étonnant que ce soit celle du héros de mon roman.

J’ai publié les premiers chapitres de mon livre sur le net. J’ai reçu de nombreux commentaires de lecteurs. C’est de cette manière qu’est né mon premier livre, en Russie.

Est-il facile de faire entendre votre voix d’écrivain loin des grandes villes ?

C’est formidable de vivre à l’époque d’internet. Cela permet d’être entendu et lu partout. Si on peut entendre ma voix à la radio en ligne, pourquoi ne pas lire mes textes aussi ? C’est par ce biais que j’ai été lu au début. J’ai publié les premiers chapitres de mon livre sur le net. J’ai reçu de nombreux commentaires de lecteurs. C’est de cette manière qu’est né mon premier livre, en Russie. Après, le fait d’être lu en France, c’est un peu un choc pour moi. C’est vraiment inattendu. Je me dis que je n’ai pas fait tout cela pour rien : apprendre le français pendant des années, faire une partie de mes études en France. Au final, la distance n’a pas d’importance.

Travaillez-vous sur un nouveau projet d’écriture ?

Je suis revenu à l’écriture d’histoires pour enfants. J’espère être écouté et lu dans le genre que j’affecte le plus. Avant tout dans mon pays, la Russie. Et pourquoi pas en France aussi?


‘Radio-Nord’ de Danilas Lensky

Disponible aux éditions Borealia
Prix : 13 €

Traduction de l’interview par Emilie Maj

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