Michel Rawicki fait partie de ces photographes français passionnés par les régions polaires. Depuis une vingtaine d’années, il parcourt ces endroits reculés du globe, part à la rencontre des peuples autochtones et capture des moments magiques.

Après son magnifique ouvrage ‘L’Appel du froid’, et sa belle installation éponyme accrochée sur les grilles du jardin du Luxembourg en 2016, Michel Rawicki nous dévoile son nouveau livre, ‘Nanuk – Le grand livre de l’ours polaire’ (Editions Albin Michel). Entièrement dédié à l’ours polaire avec plus de 200 clichés, on y découvre aussi d’autres animaux vivant dans ces contrées lointaines comme le phoque, le renard arctique, le morse, le béluga…

Préfacé par l’astrophysicien et écologiste québécois Hubert Reeves et proposant un quiz utile autour de l’ours polaire, ‘Nanuk – Le grand livre de l’ours polaire’ rend un très bel hommage à ce majestueux animal, maître de l’Arctique, dont la protection est indispensable.

A l’occasion de cette sortie, et avant sa photo-conférence programmée à la Fondation GoodPlanet à Paris le 20 octobre 2019, Michel Rawicki nous a reçus au sein de son atelier situé à Bastille. Entretien avec cet amoureux des glaces, de l’Homme et des animaux.

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‘Nanuk – Le grand livre de l’ours polaire’ de Michel Rawicki – Editions Albin Michel  

 

Depuis une vingtaine d’années maintenant, vous prenez en photo de très nombreux paysages polaires. D’où vous vient cette passion pour le froid ?

Je me souviens avoir eu, à l’âge de 10 ans, mon premier choc thermique, quand mes parents m’ont emmené à l’aiguille du midi. Je me suis retrouvé dans cette grotte de glace. J’ai alors pris la glace dans mes bras et j’ai ressenti une sensation intime et complice avec l’élément de l’eau à travers la glace. Ce fut ma première émotion qui s’est ensuite traduite par de multiples voyages et de rencontres.

Il m’est arrivé de ne pas faire de photos pour profiter de l’instant présent et imprimer dans ma mémoire des choses que je n’oublierai jamais.

Vous avez parcouru de nombreux pays, et traversé de multiples lieux : Arctique, Antarctique, Sibérie, Japon… Avez-vous un endroit qui vous fascine et vous émerveille plus qu’un autre ?

J’en suis à mon 42ème voyage dans les régions froides. Toutes ces régions ont des attraits différents, comme par exemple les petits peuples de Sibérie, les Mongols… Je vis à chaque fois des expériences humaines très fortes parce que j’apprivoise et je me laisse apprivoiser. Dans la vie sauvage, là aussi il y a des moments de grâce et des rencontres, qui ne sont pas humaines, certes, mais qui prennent une autre dimension. Je pense au regard d’un animal qu’on croise, par exemple, et déclenche des émotions. Mais je dirais que mon moment le plus fort a été au Groenland. Il y a 7 ans de cela, j’ai traversé la Baie de Melville pour relier deux villages distants d’une centaine de kilomètres. Le fait d’être allongé sur la banquise et de dormir sur la glace avec en-dessous de soi 2000 mètres de profondeur, ça déclenche des choses très fortes. Il m’est arrivé de ne pas faire de photos pour profiter de l’instant présent et imprimer dans ma mémoire des choses que je n’oublierai jamais.

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© Michel Rawicki

Y a-t-il un endroit sur Terre où vous n’êtes pas encore allé et que vous aimeriez prendre en photo ?

Oui, il y a un souhait que j’ai depuis longtemps et que j’espère réaliser l’année prochaine. C’est une fin d’hivernage au nord du Canada sur le bateau d’un ami qui hiverne depuis des années et accueille des équipes de scientifiques. J’aimerai assister à la débâcle, un moment crucial, et suivre des chasseurs.

L’ours polaire est mon animal totem, inscrit dans la mémoire de l’Humanité depuis longtemps.

Vous avez sorti le 10 octobre dernier un très beau livre dédié à l’ours polaire, intitulé ‘Nanuk – Le grand livre de l’ours polaire’. ‘Nanuk’ signifie d’ailleurs ‘ours blanc’ en langue inuit. Qu’est-ce qui vous fascine tant chez cet animal ?

Je suis allé une douzaine de fois observer l’ours polaire, en hiver et en été, de l’Alaska jusqu’au Svalbard… Je finis par me dire que l’ours polaire est mon animal totem, inscrit dans la mémoire de l’Humanité depuis longtemps. C’est un véritable symbole, une icône du 21ème siècle même qui, avec les problèmes liés au réchauffement climatique, donnent encore plus de sens à la protection de cet animal. Il faut d’ailleurs dire que l’ours blanc ne va pas si mal aujourd’hui. C’est important de le signaler. La population est stable. Méfions-nous des formules à l’emporte-pièce et des fakes, montrant un ours malade, mourant… En 23 ans d’observation, je n’ai vu que deux ours polaires en piteux états, et fatigués. Comme nous, ils meurent et sont malades. Comme nous, ils attrapent des cancers. C’est le cycle de la vie.

Dans votre livre ‘Nanuk’, il y a ce surprenant cliché d’un ours qui joue avec du plastique…

C’est à Kaktovik en Alaska. Et malheureusement, il y a des résidus et des déchets de poubelles qui volent. Il y avait cet ours polaire qui s’amusait avec un morceau de plastique bleu. Il a joué pendant une ou deux heures avec ça, comme avec un morceau de bois. L’animal est prêt à tout pour occuper son temps, observer et se mettre à jouer, comme un humain.

Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez vu et photographié un ours polaire ?

Oui je m’en souviens très bien. C’était en 1992 à Churchill, au Canada, et il m’est arrivé quelque chose d’inhabituel. Je suis monté sur le toit d’une cabane pour observer autour puis un ours est arrivé. J’ai dû attendre qu’il s’en aille pour redescendre. Cette première rencontre a été évidemment forte parce que cette puissance et cette force tranquille qui émanent du plantigrade de cet animal est tellement impressionnante et inspirante !

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© Michel Rawicki

De toute cette série de photos proposée dans votre livre ‘Nanuk’, y a-t-il un cliché qui sort du lot et dont vous êtes fier ?

Heureux de l’avoir faite oui, je dirais l’ours à la pleine lune. J’ai attendu deux heures qu’il lève la tête. Au départ, il avait la tête sous la patte comme sur l’une des deux photos dans le livre. Après une seconde et demie, quand la lune est sortie éclairant le rocher, l’ours a levé la tête pour regarder une seconde avant de se recoucher. Et c’était terminé. J’ai attendu longtemps pour capturer cet instant, au point d’avoir une tendinite pendant un an ! Mais c’était un moment puissant.

Les changements, j’ai pu les constater au niveau de la glace, de la fonte et du déplacement de la banquise, notamment sur la Côte Ouest du Groenland.

Depuis toutes ces années où vous parcourez les zones polaires, qu’avez-vous constaté en termes de réchauffement climatique ?

Les changements, j’ai pu les constater au niveau de la glace, de la fonte et du déplacement de la banquise, notamment sur la Côte Ouest du Groenland où j’ai pu observer au fil des ans que la banquise est partie de 300, 400 voire 500 km plus au Nord. Un phénomène qui pose des problèmes si le cycle continue ; l’ours ayant besoin de s’installer sur la glace pour chasser. Encore une fois, aujourd’hui, l’ours va bien mais je suis plus inquiet sur ce que sera demain, et, ce, malgré les efforts de chacun et les prises de conscience. Aujourd’hui, des habitudes nouvelles s’installent, notamment chez la jeunesse, tirant vers le haut toute une communauté et, je l’espère, les gouvernements. Car ce sont eux qui ont la main sur les changements structurels profonds comme passer des énergies fossiles à des énergies beaucoup moins polluantes. Donc il faut y aller, et agir.

Avez-vous également observé des changements au niveau du tourisme dans ces régions polaires ?

Oui. Il y a du bon tourisme, le tourisme vert. Puis il y a les fameuses croisières de bateaux géants, qui naviguent autour du Groenland en faisant un stop d’une heure à un endroit, puis deux heures à un autre. Le passage du Nord-Est et du Nord-Ouest, étant maintenant quasiment ouvert toute l’année – certaines années -, va évidemment ramener beaucoup plus de trafic et de pollution dans ces régions également.

Petit Vadim Nenet
© Michel Rawicki

Vous avez également fait de nombreuses et très belles rencontres au cours de vos voyages. Quelle est votre plus belle rencontre ?

Je dirais le petit Vadim, l’enfant Nenet, avec son nounours. Je lui montrais des photos d’ours polaires dans le tchoum et il était très intéressé. Il me regardait avec des grands yeux parce qu’il n’en avait jamais vu, ni en photo ni en vrai. Soudain, il est parti fouiller dans ses affaires et il m’a ramené son nounours. Il m’a pris par la main et m’a dit, avec ses yeux, ‘viens on va faire un tour’. Et on est parti se balader dans son petit traîneau en plastique. C’est un moment de tendresse qui marque l’esprit et le cœur. J’ai eu d’autres belles rencontres avec les aigliers de l’Altaï en Mongolie aussi. Tous ces peuples ont de belles choses à raconter. La rencontre avec eux est une façon d’ouvrir son esprit mais aussi ses yeux, à travers la photographie, et son cœur, dans une espèce de quête du bonheur.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces régions polaires ?

Au-delà du regard consensuel et géographique, c’est un regard plus humain. Un regard plus à l’écoute des problématiques de l’Homme en général qui vit sur une planète qui continuera d’exister car la Terre est née sans nous. Et elle continuera sans nous probablement. Je dirais aussi un regard plus posé sur les activités humaines et la quête de l’être.

‘Nanuk – Le grand livre de l’ours polaire’ de Michel Rawicki
Editions Albin Michel
Prix : 49 €

Site officiel de Michel Rawicki

Photo-conférence à la Fondation GoodPlanet à Paris le 20 octobre à 16h – Entrée libre
La Fondation propose également une exposition d’un mois et demi, présentant les tirages les plus emblématiques du photographe