Après « Rwanda La Surface de Réparation » (2014), François-Xavier Destors a réalisé son second long-métrage documentaire intitulé « Norilsk, l’étreinte de glace ».

A découvrir au Lucernaire (Paris) depuis le 15 mai 2019, ce film nous dévoile, de façon artistique et poétique, les limites de notre civilisation. A travers des témoignages forts et émouvants, François-Xavier Destors tente également de répondre à la question que beaucoup se posent : « comment peut-on vivre à Norilsk ? ».

Retour sur ce documentaire poignant qui invite à la réflexion, en compagnie de son réalisateur François-Xavier Destors.

Quelle était la genèse du film « Norilsk, l’étreinte de glace » ?

Le point de départ était de faire un film d’Histoire. Je voulais raconter ce qu’a été le Goulag de Norilsk : un Goulag d’élite où étaient envoyés les meilleurs géologues, les meilleurs experts mais aussi les meilleurs artistes parce que l’idée était d’en faire un deuxième Saint Pétersbourg. Mais je me suis très vite rendu compte que les gens ne voulaient pas en parler. Je me suis également heurté à l’âge très avancé des rescapés du goulag.

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© JG Leynaud

Je voulais des gestes un peu artistiques dans une ville où, au premier abord, tout pousse à l’enfermement et au suicide.

Comment les différentes rencontres avec les personnages de ce documentaire se sont-elles faites ?

J’ai d’abord travaillé en amont avec le peu d’informations à ma disposition. J’ai des amis russes qui m’ont mis sur la piste d’archives et de journaux publiés sur place comme la Pravda polaire. A travers ces journaux locaux, on peut trouver des histoires, des personnages, des faits divers… J’ai réussi à établir une typologie de personnages, une galerie de portraits mêlant plusieurs générations. A partir de ces recherches, j’ai écrit une fiction. J’ai finalement trouvé un producteur à Paris, Les Films d’Un Jour. Après 4 ans de négociation avec les autorités russes, j’ai enfin pu me rendre à Norilsk. Je suis arrivé en 2015 avec mon petit appareil photo, des vêtements chauds et je suis parti un peu à l’aventure. C’est comme ça que j’ai rencontré Cyrill, le photographe. Même si on ne parlait pas la même langue, on s’est tout de suite entendu ! On a arpenté la ville ensemble et ça a été un espèce de coup de foudre fraternel. Cyrill est un véritable artiste. Il fait de la photo, de la peinture, du graff. On allait dans des usines désaffectées pour graffer… C’est exactement ce que je recherchais. Je voulais des gestes un peu artistiques dans une ville où, au premier abord, tout pousse à l’enfermement et au suicide. L’idée du film qui a germé de plus en plus était : « comment dépasser ses premières impressions. Et pourquoi ces gens restent-ils à Norilsk ? Ils doivent y trouver une raison ».

C’est tellement irréel, c’est tellement laid que ça en devient beau !

A votre avis, pour quelles raisons cette ville inspire tant ?

Parce que Norilsk est une ville inimaginable. Il faut s’y rendre pour pouvoir l’imaginer. Il y a un côté tellement excessif dans les couleurs, dans les jeux de lumière, dans le climat, dans l’architecture… C’est tellement irréel, c’est tellement laid que ça en devient beau ! On peut imaginer des milliers d’histoires dans un décor comme celui-là. Il y a tout : la nuit polaire qui agit sur les mentalités, la lumière extraordinaire de cette ville, le soleil qui se reflète sur une fenêtre. Je pense que la ville intrigue beaucoup car il est impossible d’y vivre. Il y a aussi cette mémoire de la ville très révélatrice des complexités de l’Histoire Russe. Au final, cette folie, cet excès, cette irréalité font que nous sommes absorbés par Norilsk. Moi-même, j’ai été totalement happé par la ville mais aussi par la chaleur des gens.

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© JG Leynaud

Quelle a été votre plus belle rencontre sur place ?

J’ai envie de répondre : la rencontre de la ville. Mon objectif était d’ériger Norilsk en personnage principal. J’ai construit mon film autour de cette idée. Je voulais créer un film très organique. J’ai également fait des rencontres extraordinaires sur place. Certains m’ont fermé la porte au nez, d’autres m’ont fait peur, d’autres encore m’ont menacé… Mais d’autres m’ont ouvert leur porte et m’ont laissé filmer des tas de choses très intimes. J’ai été touché de pouvoir créer aussi vite des liens avec des gens de confiance.

C’est une manière pour eux d’oublier la dureté de l’environnement qui les entoure.

Dans le film, on découvre que de nombreux habitants semblent s’échapper de leur quotidien grâce à leurs différentes activités…

L’idée était justement d’aller chercher les échappatoires. J’ai un peu choisi mes personnages en fonction de ça. Les échappatoires sont de nature complètement diverses. Ca peut être la création musicale, la photo, la danse, faire le chevalier ou encore s’envoler dans les airs alors que l’on travaille sous terre. C’est une manière pour eux d’oublier la dureté de l’environnement qui les entoure. C’est une forme de résistance. A Norilsk, tout se passe à l’intérieur, sauf les quelques semaines où le soleil se montre enfin. La vie s’empare alors des rues à Norilsk. Je suis arrivé le 9 mai sur place. C’était le jour de la célébration de la victoire de l’URSS lors de la Seconde Guerre Mondiale. Tout le monde défilait dans les rues peinturlurées à l’effigie de Staline. Il y avait des poussettes partout, des enfants déguisés en soldats. Dans le film, il y aussi beaucoup d’enfants qui jouent, s’amusent, font des cabrioles dans la neige et qui adorent leur vie. Il y a cette nostalgie de l’enfance même chez les adultes. Et c’est également ça le film : chercher la beauté dans l’horreur, montrer que l’homme est capable de s’adapter à tout et à trouver son bonheur.

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© JG Leynaud

On a adoré la bande-son du film qui joue un rôle important tout au long du documentaire. Était-ce un choix dès le début ?

Oui, au départ, j’avais cette envie de musicalité. Je souhaitais construire une musique à partir des sons de la ville. Mais je pensais le faire avec des compositeurs en France. Je voulais enregistrer des sons de la taïga, du vent qui siffle, d’un arbre qui tombe. Le défi était de faire une bande son qui devienne le langage de la ville. Mais quand je suis arrivé, j’ai rencontré Cyrill qui m’a fait rencontrer Konstantin, multi instrumentiste. Il y a plusieurs instruments qui m’ont bluffé comme le Didgeridoo qui a un son très oriental, très profond, un peu chamanique. Konstantin a ensuite sorti sa guimbarde et a commencé à jouer. J’ai alors ressenti comme une forme électrique qui me rappelait le fer et le nickel mais aussi la dureté de l’environnement et du froid qui frappe au visage. Au final, il m’a fait écouter des samples qu’il a créés à partir de sons enregistrés à son travail ou bien dehors, lors d’une tempête de neige. C’était exactement ce que je voulais. Je lui ai alors dit « Konstantin, c’est toi qui fait la musique du film ».

Il est clair que tant qu’il existe des gisements et des ressources dans les sous-sols, la ville continuera d’exister.

Comment voyez-vous l’avenir de Norilsk ?

Depuis la perestroïka, la ville est en déclin. Les salaires sont toujours un petit peu supérieurs à la moyenne mais ont été ramenés à un niveau très bas… Il est clair que tant qu’il existe des gisements et des ressources dans les sous-sols, la ville continuera d’exister. Quand les gisements seront épuisés, la ville n’aura plus de raison d’être. Certains habitants refusent de quitter la ville et mourront là-bas. D’autres veulent à tout prix la quitter mais n’arrivent pas à revendre leur appartement. La ville compte de moins en moins d’habitants. Au moment du tournage, on dénombrait 180 000 habitants. Aujourd’hui, ils sont environ 155 000. Il y a un déclin inexorable mais aussi la promesse d’un futur radieux parce que l’avenir de la Russie, c’est l’Arctique.

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© JG Leynaud

Quelles sont vos références bibliographiques pour celles et ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur la ville ?

Peu de gens ont pu se rendre dans cette ville fermée, mais tous ceux qui ont vraiment pu y passer du temps ont produit des récits à la hauteur de cette ville extraordinaire. J’ai découvert Norilsk dans un livre qui s’appelle « Les Chuchoteurs » d’Orlando Figes. C’est un livre d’Histoire sur la destruction des familles sous Staline. Dans certains chapitres, on retrouve des témoignages de rescapés du Goulag. Il y a aussi les mémoires de Jacques Rossi, le seul prisonnier français envoyé au Goulag de Norilsk. Je conseillerais surtout les travaux photographiques d’Elena Chernyshova ou d’Alexander Gronsky, qui ont su capter l’essence de cet endroit unique au monde.

Notez que le film entame sa troisième semaine à l’affiche au Lucernaire (Paris).
Séances :

  • Le mercredi à 11h00 | 18h40 | 20h30
  • Les jeudi, vendredi, samedi et dimanche à 11h00 | 15h00 | 20h30
  • Les lundi et mardi à 15h00 | 20h30

« Norilsk, l’étreinte de glace »
Réalisé par François-Xavier Destors
Productions : Les Films d’un Jour

Pour en savoir plus : film-documentaire.fr
Voir le film en VOD

 

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