Aujourd’hui, c’est l’aventurier Matthieu Tordeur qui se prête au jeu de l’interview du froid pour Objectif Grand Froid.

Le dimanche 13 janvier 2019, Matthieu Tordeur est devenu le premier français et le plus jeune au monde à réussir une expédition de la côte du continent Antarctique jusqu’au Pôle Sud, en solitaire, sans assistance et en autonomie totale. Un exploit réussi après 51 jours d’expédition et quelques 1 150 kilomètres parcourus. Avec lui, on revient sur cette formidable et incroyable aventure dans le plus grand désert du monde.

Qu’est-ce qui vous a poussé à partir là-bas en Antarctique ?

Ce qui m’animait, ce n’était pas de devenir le plus jeune explorateur ni le plus rapide. C’était vraiment de vivre un rêve, de me lancer sur un terrain qui me fascinait et d’apprendre à me connaître dans des situations que je ne connaissais pas.

J’étais surtout attiré par un grand désert et la solitude.

Pourquoi avoir choisi l’Antarctique et le Pôle Sud plutôt que l’Arctique et le Pôle Nord ?

Mon idée de départ était de partir de la Côte pour rejoindre le Pôle Sud. Aujourd’hui, en Arctique, c’est très compliqué car les avions canadiens, qui peuvent venir vous chercher en cas de problème, ne volent plus depuis 2013. S’il y a un réel souci sur place, on se retrouve donc livré à soi-même. C’était un risque que je n’étais pas prêt à accepter du tout. J’aurais pu me faire déposer au 89ème parallèle, soit à 111 km du Pôle Nord, et faire cette distance là mais c’était un peu court pour ce que je recherchais. L’Antarctique est moins dangereux de nos jours. On ne risque pas de passer à travers la banquise. Il n’y a pas d’ours non plus. Je voulais vraiment faire une expédition assez longue, en autonomie totale. J’étais surtout attiré par un grand désert et la solitude.

Comment se prépare-t-on à ce genre d’expédition ?

Je suis partie m’entraîner en Arctique : au Groenland, au Svalbard, en Norvège… afin de tirer un traîneau, camper avec des températures polaires, apprendre à m’alimenter, tester du matériel…Il n’y a pas vraiment de recette. Il faut se mettre en condition et apprendre à bien se connaître dans ce genre de situation. Il faut aussi bien s’entourer et je suis notamment partie en équipe avec un guide polaire professionnel pour progresser plus rapidement.

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© Matthieu Tordeur

Pouvez-vous nous raconter une journée type de votre expédition ?

Je commençais mes journées à 7h30 du matin et je les terminais à 19h30. Je skiais par bloc d’une heure. Ensuite, je m’arrêtais 5 minutes pour manger quelque chose et boire un petit peu. Je faisais 6 blocs comme ça tous les matins. Après, je déjeunais pendant une demi-heure. Et c’est 30 minutes de pause pas 35. Puis l’après-midi, c’était pareil. J’ai fait ça pendant 50 jours d’affilée.

On mange beaucoup. J’avais emporté 6500 calories par jour.

Comment se nourrit-on justement pour faire face au froid ?

On mange beaucoup. J’avais emporté 6500 calories par jour. On mange très gras. Je rajoutais dans mes dîners lyophilisés 100 grammes de beurre. On prend de la nourriture qui ne contient pas d’eau car on est dans un congélateur permanent. Donc on prend de la nourriture énergétique et peu volumineuse. J’avais notamment des crackers, des fromages comme le gouda qu’il fallait réchauffer, du salami si gras qu’il ne gelait pas, des nouilles chinoises que je réhydratais avec de l’eau chaude et puis beaucoup de noix, noisettes, de chocolats et de fruits secs…

Quel a été le moment le plus émouvant ?

Peut-être le moment où j’ai posé les pieds en Antarctique. Ce moment où les portes de l’avion militaire se sont ouvertes et qu’un flux d’air glacé a envahi l’habitacle avant de descendre cette piste de glace et d’apercevoir ces montagnes au loin et cet environnement que j’avais imaginé depuis des années.

Je me suis donc retrouvé à ouvrir des cadeaux le jour de mon anniversaire en Antarctique.

Votre meilleur moment ?

Mon meilleur moment c’est peut-être mon anniversaire parce que j’ai fêté mon anniversaire, Noël et le jour de l’an là-bas. Mes parents et mes amis m’avaient mis des petits paquets dans mon traineau. Je leur avais demandé que ce soit très peu volumineux et très peu lourd. Je me suis donc retrouvé à ouvrir des cadeaux le jour de mon anniversaire en Antarctique. C’était le plus beau cadeau d’anniversaire d’être là-bas. Et puis l’arrivée au Pôle Sud était un grand moment aussi bien sûr.

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© Matthieu Tordeur

Cette année, il y avait sept expéditions sur cette route là et seulement deux sont arrivées au bout.

Le pire moment ?

Il y a eu des moments plus difficiles que d’autres mais je n’ai pas eu de pire moment. En tout cas, je ne l’ai pas encore trouvé. Ce qui est sûr c’est que les chutes de neige étaient très compliquées. Il faut savoir que cette année, il y avait sept expéditions sur cette route là et seulement deux sont arrivées au bout. Il y a eu cinq abandons notamment car certains faisaient des records de vitesse et voyaient bien qu’ils n’y arriveraient pas en raison de cette neige très molle.

Nous avons été choquées par l’une de vos photos postées lors de votre expédition ; ce fameux 4×4 avec à son bord des touristes…

C’est une agence Islandaise qui s’appelle Arctic Trucks et propose des expéditions en 4×4. Ce sont des 4×4 qui sont modifiés et peuvent rouler avec des températures négatives très importantes. Moi je n’ai pas eu le même ressenti car cela faisait 31 jours que je n’avais vu personne. J’étais assez content de serrer la main à quelqu’un et de faire des photos. Ca m’a permis de sortir de ma routine et j’ai trouvé ça assez amusant sur le moment. Après, il faut savoir que j’avais vu ce 4×4 au départ. Je connaissais les conducteurs Islandais. C’était comme des copains et j’étais content sur le moment. Après, en prenant un peu de recul, c’est vrai que c’est choquant vu de l’extérieur parce qu’on se dit que tout est permis. Mais d’un autre côté, les expéditions mécaniques existent en Antarctique depuis toujours. Pour les ravitaillements de base, on utilise des Caterpillar. Même les premières expéditions polaires françaises ont utilisé des machines. Donc le fait d’utiliser des machines ne me semble pas délirant. Ce qui est peut-être un peu choquant c’est que ça coûte une fortune de partir là-bas. C’est un tourisme que je ne cautionne pas mais cela est fait dans les règles. Pour y aller, il faut respecter un cahier des charges environnemental. C’est un tourisme pour gens très riches.

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© Matthieu Tordeur

Avez-vous des explorateurs ou des récits de voyages et d’aventures qui vous ont inspiré ?

Jean-Louis Etienne bien sûr. Après il y en a qui ne sont pas forcément polaires comme Sylvain Tesson que j’ai beaucoup lu et qui m’a donné l’envie de partir par moi-même. Dans une littérature moins académique, j’ai dévoré les bandes-dessinées de Tintin quand j’étais jeune et c’est vraiment ça qui m’a donné envie dès le début d’aller voir ce qu’il se passait en dehors de la France. Nous sommes tous nourris par les aventures des autres, qu’elles soient passées, modernes ou actuelles.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Il y a un projet d’un documentaire de 52 minutes prévu sur Ushuaia Tv cet été, un livre pour Noël et puis entre les deux des conférences pour les partenaires et entreprises qui m’ont suivi.

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