Aujourd’hui, c’est Mo Malø qui se prête au jeu de l’interview du froid pour Objectif Grand Froid. Du coup, il se peut qu’on parle un peu du Groenland

Mo Malø est l’auteur du roman Qaanaaq paru en mai 2018. Qaanaaq, c’est le prénom d’un policier danois envoyé à Nuuk, la capitale du Groenland, pour enquêter sur une série de meurtres. Quatre ouvriers de plateformes pétrolières ont été retrouvés sauvagement assassinés par ce qui semble être une attaque d’ours polaire. Sur fond de paysages arctiques, on découvre à la lecture une société en pleine lutte pour obtenir l’indépendance du Groenland, des compagnies pétrolières qui se disputent les ressources locales, des complots politiques et financiers, des traditions ancestrales…

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Le polar qui vient du Groenland

Interview Grand Froid, made in Groenland !

Il s’agit de votre premier roman sous le nom de Mo Malø. Pourquoi ce pseudo ?
A-t-il une signification particulière ?

Oui, il en a une, très personnelle, très intime, et même trop personnelle pour que je ne vous en dise plus, pardonnez-moi !

Qu’est-ce qui vous a amené à placer l’intrigue de votre polar sur l’inhospitalière côte ouest du Groenland ?

La plus inhospitalière est la côte est. Blague à part, le Groenland m’a fasciné par le vivant paradoxe qu’il incarne : en apparence désertique et sans histoire, en réalité d’une très grande richesse, dans tous les sens du terme (ressources naturelles, culture Inuit, enjeux géostratégiques et climatiques). Sur cet échiquier blanc, Nuuk et Qaanaaq me sont vite apparus comme deux lieux clés, où les tensions, notamment politiques, étaient les plus concentrées.

A la lecture, on sent que le roman est très documenté. Quelles ont été vos références pour écrire ce livre ? (études ethnologiques, romans historiques, récits d’aventure, … ?)

Très diverses. Cela est allé des classiques de l’exploration polaire, comme les ouvrages de
Paul-Emile Victor ou Jean Malaurie, jusqu’à des recueils de légendes Inuit ou quelques rares romans groenlandais (il s’en publie, mais assez peu).

Les Groenlandais vont être purement et simplement dépossédés des trésors de leur sous-sol.

Votre roman dénonce la guerre que se font les compagnies pétrolières pour l’or noir de l’Arctique. Quels sont selon vous les principaux impacts sur les populations autochtones ?

Cela agit sur elles à plusieurs niveaux. Le plus dévastateur et aussi le plus pernicieux, c’est le miroir aux alouettes que cette manne pétrolière agite sous le nez des habitants. C’est ce que j’essaie de montrer dans Qaanaaq : les populations locales, encouragées en cela par le gouvernement actuel, s’imaginent que cela va à terme faire d’eux une pétro-nation du Nord, aussi riche que les pays du golfe. Mais dans les faits, ce sont surtout les compagnies étrangères, qui ont déjà passé des accords de licence, qui vont s’y enrichir. Ainsi que les ouvriers qualifiés venus de l’étranger.

Les autochtones sont et ne seront généralement cantonnés qu’à des tâches subalternes, et assez mal payées. Cela est d’autant plus vrai qu’aucun groenlandais ne possède de champ pétrolifère. Au Groenland, toute la terre appartient à l’Etat. Donc aucune fortune privée locale ne se bâtira a priori à partir de ces immenses ressources… Les Groenlandais vont être purement et simplement dépossédés des trésors de leur sous-sol. Au mieux, ils peuvent espérer en ressentir les effets positifs sur les infrastructures et aides publiques, indirectement financées par les redevances touchées par l’État. Enfin, quand celui-ci sera indépendant, ce qui n’est pas encore gagné… La désillusion que cela génère parmi les habitants pourrait être, à terme, la source de très vives tensions intestines.

Vous évoquez ces Groenlandais qui tentent de résister à l’emprise du Danemark dans leur mode de vie. Pensez-vous qu’il soit possible de mêler modernité et traditions ancestrales ?

Oui, mais c’est compliqué, et cela ne se fait pas sans tiraillements. La plupart des jeunes
Groenlandais qui s’engagent dans des études supérieures les suivent au Danemark ou aux États-Unis. Quand ils reviennent au pays, ils ont souvent beaucoup de mal à y percevoir des perspectives d’avenir. S’ils restent au Groenland, ce n’est le plus souvent que par respect pour leurs aînés, pour les aider, et plus rarement par choix personnel… Il y a donc souvent eux un sentiment de gâchis. A quoi bon se cultiver et se moderniser, si le reste du pays ne suit pas ?

Entre 1951 et 1953, des dizaines de familles Inuit ont été déplacées de force, depuis la région de Thulé, où l’US Army souhaitait s’installer. Qaanaaq est donc en quelque sorte une création américaine.

Qaanaaq est une petite localité à l’extrême nord du Groenland, située à une centaine de km de la base aérienne de Thulé. La ville a été édifiée en 1953 quand les américains ont relogé les populations locales de Pituffik pour édifier la base. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

En effet, entre 1951 et 1953, des dizaines de familles Inuit ont été déplacées de force, depuis la région de Thulé, où l’US Army souhaitait s’installer. Qaanaaq est donc en quelque sorte une création américaine. Artificielle. Mais, au fond, seuls les petits villages sont authentiquement Inuit. Je vous rappelle à ce propos que les Inuit sont à la base des
populations de chasseurs-pêcheurs semi-nomades. Donc l’attachement sédentaire à un lieu donné est pour eux une conception assez récente, au regard de leur culture plurimillénaire. D’ailleurs, la plupart des « grosses » localités groenlandaises (Nuuk, Kangerlussuaq, Ilulissat, etc.) sont des créations danoises, qui datent de la deuxième vague de colonisation scandinave de l’île, au XVIIIe siècle.

Envisagez-vous une suite à Qaanaaq en terre polaire ?

Oui ! Mais chut… Sinon je vais me faire taper sur les doigts par mes personnages.

Aimez-vous les destinations du Grand Froid ? (pour voyager, vous évader, vous
inspirer…)

Évidemment ! Et hélas – ou heureusement ! – je n’en ai pas encore épuisé tous les charmes et tous les mystères. Je rêve notamment d’aller en Antarctique et sur l’île norvégienne du Spitzberg.

Avez-vous en tête des romans sur le Groenland que vous avez-vous-même apprécié?

Oui, «  Imaqa » du danois Fleming Jensen. Et ceux qui ont lu Qaanaaq sauront le sens et la valeur toute particulière de ce mot !

On aime :

QAANAAQ de Mo Malø
Editions de La Martinière

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